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Orient, Occident

par Faouzi Skali

Le soufisme, spiritualité vivante, a irrigué pendant des siècles les différentes expressions culturelle de la civilisation islamique à la fois dans leurs singularités et leurs valeurs universelles. De ces expressions poétiques, littéraires, architecturales ou comportementales, on pourrait dire avec Platon : « la Beauté est la Splendeur du Vrai ».

A l’ultime extrême de l’Orient point l’Occident. Et inversement. « Comme la nuit s’enroule dans le jour, dit le Coran, et le jour dans la nuit ». La globalité du monde ne peut être perçue que dans le jeu de ces oppositions et complémentarités, ce jeu de miroir, entre ces deux hémisphères de notre planète. Mais au-delà de leur disposition géographique l’Orient et l’Occident constituent d’abord des continents culturels et symboliques.

Les termes de mondialisation ou, pire encore, de « globalisation » expriment surtout la volonté d’une domination d’une aire culturelle sur un autre, d’un système triomphant grâce à des valeurs et systèmes d’organisation venus de l’Occident.

Cette domination, qu’elle cherche à s’exercer dans un sens ou dans l’autre, n’est jamais guère que provisoire, sinon le fruit d’une illusion d’optique.

Le Soufisme à travers les siècles a su tisser des passerelles entre ces deux mondes et y faire voyager, à travers des colorations multiples, des idées, des valeurs, des symboles universels.

Car seule une spiritualité authentique allie dans l’homme lui-même l’Orient de l’âme et l’Occident de la raison. Fait jaillir cette Lumière divine qui s’alimente d’ « un arbre béni, un olivier, qui n’est ni d’Orient ni d’Occident ». (Coran)

Ainsi en est-il de certaines valeurs partagées entre l’Orient et l’Occident de la « Chevalerie spirituelle », du sens de l’élévation et de la noblesse du comportement humain. Celle par laquelle l’homme développe des qualités intrinsèques d’humilité, de générosité, de compassion, de courage, d’intégrité et bien d’autres encore, qui lui permettent d’être dans la meilleure articulation possible au réel et à la justesse de l’action.

C’est cet esprit de « Chevalerie » qui a présidé à l’association, chez les artisans et les corps de métiers, entre travail, éthique et valeurs spirituelles. Comme chez le chevalier le travail, ou l’action en général, n’est que la monture qui est dirigé par l’esprit qui en oriente le sens et la finalité.

Le travail est certes alimentaire mais il n’est jamais « que cela ». C’est aussi l’un des vecteurs du développement de notre humanité.

La culture soufie nous ouvre aussi sur l’importance essentielle de la dimension du « féminin », et des valeurs qui lui sont attachées, dans tout développement sociétal.

Les figures de Layla, de Maya … puisées du patrimoine poétique arabe antéislamique, de l’amour courtois « Udhri » et platonique vont constituer les principaux symboles de l’amour universel des Soufis exprimé dans la poésie de Rabia al Adawiyya, de Hallaj, d’Ibn Arabi ou de Rumi. Ils vont aussi constituer la texture des expressions artistiques et musicales développées à travers l’extraordinaire diversité des cultures soufies de par le monde d’Afrique ou d’Europe, d’Orient ou d’Occident, moyens et extrêmes.

Le romantisme spirituel du Soufisme, qu’il soit exprimé par des hommes ou des femmes, a cependant accordé à ces dernières une signification symbolique essentielle qui est le préalable à la reconnaissance naturelle de l’importance de leur place et de leur rôle au sein de la société.

Dans cette fonction de médiation entre l’Orient et l’Occident, entre l’homme et la femme, le Soufisme développera aussi une capacité à trouver des solutions d’harmonisation et de complémentarité, d’une reconnaissance naturelle et féconde des différences et de la diversité, là ou peuvent s’installer des attitudes de rejet, de crispations, et de conflit. Il sait progressivement remplacer par un long processus de connaissance et de transformation de soi les logiques de la haine par celles de l’amour.

Le développement civilisationnel d’une société peut se mesurer à sa mise en oeuvre des moyens par lesquels le plus simple citoyen peut avoir accès, par des relais multiples, au plus large patrimoine possible de connaissance, de culture et de spiritualité. Mais aussi à sa capacité d’affiner et de développer des liens sociaux, ou avec son environnement, dans le sens d’une très grande élévation et harmonie, que ces relations soient internes à ces sociétés ou définissent la philosophie de leur relations internationales. Le « développement civilisationnel » signifie en somme la possibilité de créer aujourd’hui selon des modalités concrètes et collectives, sociétales, une « civilisation de l’amour et de la connaissance ».

L’intensité de cette « énergie d’amour » qui circule dans ses colorations et expressions diverses, au sein de la société, constitue pour le Soufisme le coeur même de toute civilisation. Elle implique et englobe les dimensions d’équité et de justice. C’est cette vocation qui est assignée aussi à sa dissémination et à sa diffusion, récurrentes, à travers le Festival de Fès de la « Culture Soufie ».

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